Collision(s)

Ce projet de longue haleine n’est pas d’abord un choix esthétique. Isabella veut explorer la vie sous la perspective de collisions. La vie comme télescopage de faits, de gestes et de pensées.

Cette profonde plongée dans la vie nécessite un fil rouge autour duquel s’articulent des regards multiformes.
D’où différents médias (scène, cinéma, performance, exposition) et, donc, différentes approches de ce thème universel.

A comme Animal

Gilles Deleuze, l'abécédaireLe fil rouge est vite trouvé. Si Gilles Deleuze a écrit des ouvrages plutôt abscons pour le commun des mortels, il a accepté en 1985 de se prêter au jeu de l’interview non préparée. La rencontre est filmée, non retranscrite, pour garder intacte la spontanéité des intervenants (les « heu… » inclus). Claire Parnet, l’intervieweuse, propose à Deleuze de réagir à des mots sous la forme d’un abécédaire. On peut y voir un exercice ludique. D’ailleurs, Deleuze sourit à cette idée. Il est à l’aise. Parnet parvient à créer une sorte d’intimité qui délie la langue de Deleuze. Il ne théorise plus. Il exprime sa vision de la vie en réagissant aux subtiles provocations de Parnet. Il montre sa manière de vivre, sa relation avec les chats, la télévision, les écrivains. Il s’enthousiasme, s’emporte, se fatigue, a soif. Ses pensées virevoltent, légères, rudes, contradictoires et pourtant si cohérentes. Une longue et ultime improvisation (Deleuze a exigé que l’abécédaire paraisse après sa mort). De belles et pertinentes collisions, que nous « malaxons ».

B comme Boisson

Le lieu idéal pour refaire le monde est autour d’une table, avec des verres bien remplis. Dans le fond, c’est là aussi que l’on fait le monde. Le parti pris de la collision implique, entre autres, une confrontation des personnalités. Au cinéma, dans un nombre infini de scènes, on (re)fait le monde un verre à la main, et rarement seul. On trinque, on boit pour s’ouvrir l’esprit, pour la chaleur du liquide et l’étrange envie de partager qu’il procure. Des phrases percutantes de vérité, des pensées irrationnelles mais révélatrices, des idées menées jusqu’à l’absurde.

Anna Karina dans "Vivre sa vie" de JL Godard, en conversation avec... ... Brice Parain


Le cinéma regorge de ces phrases sous influence. Comme une seconde matière première (désorganisée cette fois) pour Collision(s). Quand Deleuze boit, il offre son corps en sacrifice (sic). De cette manière, soutient-il, il supporte ce que la vie a de trop puissant. Mais tout cela est idiot, conclut-il en prenant une bonne lampée d’eau minérale. Godard, d’une autre façon, place des personnages face-à-face dans un bistrot un peu bruyant. Ils ne se connaissent pas et dissertent autour d’un verre. Le film s’intitule « Vivre sa vie ». Tout ce matériau épars pétille littéralement, en attente de fulgurantes collisions, que nous mettons en place avec enthousiasme.

C comme Collision

Pourquoi le titre Collision(s) ? Spectaculaire, non ?On pense spontanément choc de deux corps, rencontre violente. On pense accident et vitesse. On pense hasard. Car la collision est imprévisible. Même provoquée, son résultat reste imprévisible. Provoquer une collision, c’est effectuer une expérimentation. La collision, c’est l’opposition de deux mouvements. De cette opposition naît quelque chose de nouveau, comme une force telle qu’elle rendrait l’inanimé vivant.
C’est la collision qui électrise la vie, ce sont des collisions qui la constituent. Une évidence.

D comme Dynamique

Le matériau texte est en soi déjà « vivant ». Pas question de le figer, ni durant la création du spectacle, ni durant les représentations. Dès les premières répétitions, nous fournissons du texte aux deux performers. Des textes très construits dans un premier temps, immédiatement compréhensibles. Cependant, Isabella se réserve l’objectif final du projet. Nous distillons les informations et n’hésitons pas à les adapter à la sensibilité des performers. En parallèle, elle donne des pistes physiques. Bérengère Bodin et les projecteurs volants, dans "Collision(s)"Les lectures passives succèdent aux lectures actives. Une cohésion se dessine. Les performers prennent possession de l’espace et des mots, désormais indissociables, sous la subtile direction d’Isabella.

Les remaniements sont constants et tendent vers la sobriété, le dénuement. La matière gagne en abstraction… dans le sens spontané du terme, dans le sens d’une communication immédiate entre les performers, et avec le spectateur. L’idéale combinaison « parler/penser/agir » est atteinte. L’énergie mise dans les répétitions devient celle du spectacle.
Ainsi Collision(s) profite d’une création perpétuelle, d’improvisations cohérentes parce qu’effectuées dans un cadre maîtrisé et habité par les performers.

Mais ce cadre doit trembler, vibrer. Isabella y injecte des images et des sons choisis à l’intuition, pour préserver leur fraîcheur. Pour provoquer – et oui – des collisions…

E comme Ensemble

Michel François Autoportrait contre natureLa musique est traversée de bruits et sons extérieurs joués en direct. Soigneusement déterminés, ils occupent des espaces parfois très différents d’une représentation à l’autre.
Le texte est rédigé sous forme de paragraphes, imprimés sur plusieurs feuilles, et permettant des combinaisons infinies.
Des images filmées, très fortes, ouvrent, divisent en deux parties et ferment le spectacle. Elles participent au chaos de Collision(s).
Car c’est le sentiment et l’impression de chaos qui domine. Un chaos construit et vivant. Une énorme et sensuelle collision.