Aussi dans
UN CIEL RADIEUX / Jiro Taniguchi

1 . Si loin, si proche

« Ordinaire », un mot falot et ennuyeux. Ajouté à « existence », il éteint la curiosité et l’imagination. Par contre, « Extraordinaire » éveille l’esprit engourdi, aiguise l’intérêt et raye « impossible » du vocabulaire. Taniguchi, lui, démontre que « extraordinaire » est contenu dans « ordinaire ». Et tant pis pour les dictionnaires.

Takuya le jeune motard Dieu joue

Prenez deux hommes sans point commun. Takuya, un adolescent revêche, « no future » plein la tête. Et Kazuhiro, père de famille, bourreau de travail. S’ils s’étaient croisés par hasard, jamais l’un n’aurait accordé un regard à l’autre. Il faut un accident de la route mortel, un choc frontal, pour les réunir. Les médecins ne peuvent les sauver. Malgré son corps jeune et résistant, Takuya ne se bat pas pour vivre. Kazuhiro, lui, soudain conscient de sa vie inepte, ne veut pas disparaître, mais son enveloppe charnelle, usée par le temps et les heures supplémentaires, s’éteint. Comme tout auteur, Taniguchi est Dieu et se livre à une expérience. Il prend deux hommes au seuil de la mort. Injecte l’âme qui veut vivre dans le corps qui peut vivre. Puis il observe la puissante alchimie émotionnelle.

Dans les filets de Jirô

Derrière une couverture peu attractive, défaut majeur de la collection « Ecritures », se délie le trait délicat de Taniguchi. Mais le dessin évoque l’estampe, pratique désuète de la bande dessinée, et présente des tics de manga : attitudes figées, maigre palette d’expressions, police de caractère inappropriée. De quoi décourager le chaland occidental. Le lecteur décidé, lui, tourne les premières pages à toute vitesse, avec une légère impression de vide. Peu de cases, peu de texte, encore une caractéristique de la bande dessinée nipponne. La lecture se poursuit sans méfiance, le « piège » est tendu. Car Taniguchi plonge délicatement le lecteur dans un tourbillon émotionnel. Quand ce dernier en prend conscience, il est trop tard, il ne peut éviter la tourmente intérieure. Jirô Taniguchi touche au plus profond, là où chacun hésite à s’aventurer. Alors, oubliée la culture japonaise, oublié le neuvième art, et vivent les sentiments universels.


L’aventure intérieure

L'homme qui marche En postface, craignant que « Un ciel radieux » manque de clarté, Taniguchi se fend d’un long texte explicatif. Mais pourquoi mettre en mots plats ce que le récit communique avec force et douceur ? Nul besoin de démonstration, l’histoire de Kazuhiro et de Takuya dit tout. La dernière page tournée, l’esprit flotte un peu, le temps de se rassembler, puis une idée se dessine : c’est dans la vie quotidienne que l’on trouve l’existence la plus intense, c’est dans l’ordinaire que l’on trouve l’extraordinaire.