Scribal - Stéphane Taquet

Quand Mankell écrit Wallander, on plonge aveuglément. Et tant pis si le légendaire commissaire nous entraîne dans les tréfonds peu recommandables de l’âme humaine. Car il frappe juste. Il nous ébranle. Mais, sans prévenir, Mankell décide de mettre Wallander à la pension. Il l’enfonce délicatement dans l’oubli, le temps d’un roman, le temps de bâtir un personnage plus frais. Ainsi éclot Linda Wallander, la propre fille du commissaire d’Ystad, la nouvelle vedette d’Henning Mankell.

Dès le chapitre où apparaissent les Wallander, père et fille, Mankell donne le ton. Kurt est vu par les yeux de Linda. Nous avons quitté les pensées intimes du commissaire. Kurt est fatigué. Il cherche une maison où se retirer, près de la mer. Comme Linda, on le voit en animal affaibli. Comme elle, on n’y croit pas complètement… Des animaux immolés, une tête de femme tranchée. Le commissaire se réveille. Sa vie reprend un sens. L’objectif : comprendre ces actes criminels, empêcher les suivants. L’animal affaibli a rendossé sa peau de policier déterminé.
Pourtant, cette fois, Wallander et son équipe manquent d’imagination. Les obstacles s’accumulent. Les réponses manquent. Linda, au contraire, agit en électron libre. Une enquête personnelle, d’apparence anodine, lui ouvre des pistes que Wallander n’a pas découvertes. Instinctive et imprudente, Linda brave le danger en toute conscience, par besoin de vie intense. Sa manière d’agir est fraîche, rapide, chargée d’adrénaline. La méthode de Wallander père prend un coup de vieux. D’ailleurs, le récit est truffé d’éléments annonçant le déclin de Kurt ou, au moins, sa mise à l’écart. Un exemple : l’enquête personnelle de Linda concerne le père disparu de sa meilleure amie. Ce point de départ, apparemment sans lien avec le crime principal, la mènera à résoudre l’affaire plus vite que Kurt Wallander. Un père disparu en chasse un autre.

La cohabitation forcée du père et de la fille dans l’appartement de Wallander résume parfaitement leur rivalité, inconsciente ou non. Conséquence inattendue : Kurt Wallander devient mentor sans le vouloir. Linda l’observe avidement. Elle apprend à toute vitesse. Elle découvre ainsi une autre façon d’aimer son père, et de s’en détacher pour devenir adulte. Aux méthodes éprouvées de son père, elle apporte sa jeunesse. En quelque sorte, Kurt Wallander accouche d’un nouveau personnage, fort, séduisant par ses qualités humaines, moins désabusé, positif mais pas candide. Linda Wallander est promise à un bel avenir.