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KOD - l’aventure dramaturgique

2 . Brassage d’inspirations

Cette phase, à la fois ludique et sérieuse, requiert un certain laisser-aller. Je me transforme en éponge cérébrale. Je me gorge d’inspirations de tous genres. J’ouvre un maximum de pistes. Mais il ne faut pas négliger le seuil de tolérance, le moment où le matériau récolté frise l’indigestion. S’impose alors une opération délicate : décider de limites souples et efficaces ou, en d’autres termes, contenir le flot d’informations tout en laissant ouvertes de nombreuses possibilités. Arrivé à ce stade, le découragement guette, les choix sont indispensables. La partie « recherche des inspirations » est réfléchie, la partie « choix » est intuitive. Dans tous les cas, le résultat est en parfaire cohérence avec « notre » Hamlet. Pas question de tricher, on a besoin de sentir le projet, de l’avoir intégré en nous.

La villa Malaparte dans Le Mépris, de JL GodardPar souci de clarté, je présente ici nos choix par genre. En réalité, la recherche se fit toutes catégories confondues, évolution créatrice oblige. Les premiers résultats concernent l’image. Une fois le cadre visuel établi, on peut se déplacer dans celui-ci avec beaucoup de liberté. Cette structure joue le rôle de garde-fou. Il s’agit de créer la première relation images/textes sans, toutefois, omettre les thèmes de base (pouvoir, voyeurisme) qui auront gagné en consistance dans la version de base.

Architecture

Getty centerL’objectif n’est pas de construire un décor sur la scène. Celui-ci prend sa place dans l’imaginaire afin de donner corps à nos recherches. Nous tendons naturellement vers un espace vaste, sobre, aux lignes épurées. Idéalement des musées. On situe donc notre « action » dans un lieu composé de ceux-ci :
Le Mac’s, sur le site du Grand-Hornu, pour l’ajout d’une aile contemporaine à un bâtiment industriel chargé d’histoire. Le Moma de New-York, pour la création d’une annexe transparente et lumineuse, véritable respiration dans un quartier surchargé de bâtiments.
Le Getty Center de Los Angeles pour le côté brut, subtilement maîtrisé, de son matériau de construction.
La galerie des trésors d’ Horyu-Ji à Tokyo, pour son apparente sérénité, pendant indispensable à une société nipponne sous pression permanente (cette caractéristique japonaise nous servira aussi dans d’autres aspects de la construction du spectacle).
La villa Malaparte de Capri, vue dans Le mépris, de JL Godard, seule construction habitable de la sélection, théâtre de conflits humains hérités des drames classiques. Enfin, et de manière contradictoire :
Le Berlaymont, siège de la commission européenne, symbole de la laborieuse construction de l’UE et d’une administration sans commune mesure ; architecture sévère où disparaît l’individu.

Arts plastiques

Vanessa BeecroftLes artistes ci-dessous sont susceptibles d’inspirer, visuellement, des scènes de KOD. Mais Isabella cherche surtout en eux des poses ou des mouvements pour les interprètes, des balises visuelles dont elle s’éloignera à mesure de la création. Comme pour les références précédentes, cette sélection sert d’assise à un travail en constante mutation.
Sophie Calle, pour sa recherche obstinée de la mise en abyme.
Vanessa Beecroft, pour son utilisation des contrastes réduisant l’individu à l’impuissance.
Roy Lichtenstein, pour la stylisation et la caricature des émotions du visage.

Musique

PJ HarveyDès le départ, il est question d’insuffler un vent de rébellion à la pièce, une énergie brute. On se dirige naturellement vers des artistes rock aux morceaux parfois arides, souvent dénués d’artifices, à la force directe.
The Kills, deux musiciens en concert, à l’interprétation minimaliste, contre-balancée par leur gestuelle stéréotypée (rock attitude).
Nick Cave, pour ses chansons envoûtantes, abyssales, à la sonorité mécanique. Une musique qu’on ne peut arrêter.
PJ Harvey, déjà icône en soi, pour son apparence délicate et la bataille qu’elle livre âprement avec ses chansons, brutes à l’extrême.
Iggy Pop, pour la radicalité de son existence même, totalement immergée dans l’univers rock.

Cinéma

Dans le cinéma, on trouve tout. Cette vaste culture, probablement la plus populaire, influence toutes les formes d’art. On y est proche de la vie et, à la fois, des fantasmes les plus profonds. Se référer au cinéma tient du réflexe. Il faut être d’autant plus vigilant dans ses choix. Brother de T Kitano
Mulholland Drive, de David Lynch, pour les échanges de personnalité entre les personnages, son atmosphère sourde et la rationalité qui dérape.
Brother, de Takeshi Kitano, pour le choc des cultures japonaise et américaine, les personnages sans concession, entraînés en cela à la limite de leur humanité.
Syriana, de Stephen Gaghan, pour sa vison réaliste, cynique et échappant à l’entendement des rouages du pouvoir.

Notorious, de A HitchcockCitizen Kane, de Orson Welles, pour le portait d’une ambition démesurée, véritable fuite en avant vers une puissance sans cesse inassouvie.
Le mépris, de Jean-Luc Godard, pour ses personnages désabusés, errants dans leur propre vie.
Notorious, de Alfred Hitchcock, pour la relation sous tension érotique entre Cary Grant et Ingrid Bergman, et leur long baiser légendaire, à la limite du sado-masochisme.

Le Désert Rouge, de M AntonioniVirgin Suicide, de Sofia Coppola, pour l’autodestruction feutrée, douce et inéluctable des jeunes filles.
Taxi Driver, de Martin Scorsese, pour la violente schizophrénie de son personnage maladivement solitaire.
Le dernier tango à Paris, de Bernardo Bertolucci, pour les scènes de sexe crues et parfaitement cinématographiques.
Le désert rouge, de Michelangelo Antonioni, pour cette phrase symbolique de Monica Vitti « Il y a quelque chose de terrible dans la réalité et je ne sais pas ce que c’est », et le traitement monochrome du décor, sorte de matérialisation de l’inconscient.

Documentaires

Par souci de compréhension, la notion de pouvoir nécessite l’appui de faits réels. Cette recherche distille une atmosphère sourde lors du processus de création, pour ensuite s’intégrer naturellement à KOD.
Ramzan Kadyrov. Plusieurs reportages montrent Kadyrov et son clan régner impunément sur la Tchétchénie tel un parrain et sa « famille ». La caméra elle-même semble se tenir à distance respectueuse de cet homme prêt à tout.
Les oligarques. Grandeur et décadence de ces financiers russes, profiteurs de la débâcle communiste, pris aujourd’hui en chasse par un homme plus puissant : Vladimir Poutine.
Spin Doctors. Ou comment les équipes de communication des grands hommes politiques gèrent l’image de ceux-ci et, au besoin, fabriquent des informations de toute pièce.
Discours de Georges W. Busch, Jean-Marie Messier, Steve Job et d’autres. Le pouvoir en direct, dans divers styles.