D’ici, on voit loin
Il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans ce bureau d’architecture international. Du moins à cet étage. Le dernier. La vue est imprenable. La ville ressemble à une maquette. On nous (je n’étais pas seul) emmène dans un large bureau vitré. On ferme la porte. L’architecte responsable du projet est nerveux. Les délais sont dépassés et les problèmes encore nombreux. Rien d’exceptionnel en soi. « Vous allez réaliser un film. Il est décisif. Et le projet est extrêmement confidentiel. » Ok, je réponds. Mon cœur palpite.
L’architecte manque d’habitude avec les non-architectes. « Là, c’est l’étage des …, là la nouvelle…, ici ce qu’il faut abattre ». Il s’agit donc d’un hôpital. « En tout environ 45.000 m2. Des questions ? » Puis il ajoute avant de nous écouter : « tous ces plans sont obsolètes, ils datent d’il y a une semaine. ». Mes notes de cette première réunion indiquent : Film de 4 minutes maximum, pas de musique, pas de matière pour le texte, pas de direction pour la mise en scène. « Vous avez carte blanche » conclut-il en nous mettant en main un dossier constitué des mêmes plans que ceux accrochés au mur. Mais en plus obsolète.
La pluie, même sous les arbres
Quick-it, la société 3D qui m’a appelé en renfort, est située dans une arrière-maison pleine de charme. Il faut traverser une cour arborée pour l’atteindre. Enfin, je crois qu’elle était arborée, on relève peu la tête sous les pluies serrées. Durant cette période de travail, les averses se succédent sans répit. On dirait la mousson, en froid. Les gars de Quick-it mettent à l’aise. Ils travaillent en musique, font des pauses des casques sur les oreilles, le temps d’une partie de "Operation Flashpoint : Dragon Rising" en ligne (ils forment d’ailleurs une équipe très organisée et efficace et changent de leader à chaque partie), ils se font livrer d’excellents plats. Et ils travaillent beaucoup. Vraiment beaucoup. Les délais sont dépassés et les problèmes encore nombreux. Ils décident : eux sont exécutants, nous, on dirige – on écrit, on met en scène, on monte. Je réponds "Ok".
Esprit de synthèse
Puisque les informations sont parcellaires (euphémisme), on écrit à l’aveugle. Même sur Youtube, les références sont maigres. On avance solidaires avec Quick-it qui dispose d’aussi peu d’informations que nous. Les images parviennent au compte-gouttes. On force un peu la porte des architectes – on convoque une réunion prématurée –, un premier jet sous le bras. A sa lecture (agrémentée de quelques croquis), les deux architectes (oui, ils sont deux, et un peu plus nombreux à chaque réunion) sont déconcertés. « Ce n’est pas ça qu’on attend ! ». C’est comme ça qu’on obtient des informations, avec une sorte de démonstration par l’absurde.
Dès lors, le projet s’emballe. Je reçois le cahier des charges (« toutes les infos y sont »), une brique de 400 pages. Heureusement, j’ai l’esprit de synthèse. Certains se rendent sur le site du chantier, à 500 kilomètres de Bruxelles. Je me contente de Google earth et des infos glanées sur le Net. Même si l’obtention des informations reste un combat permanent (quand une aile du bâtiment est effacée du projet, il vaut mieux être au courant), le film prend forme. On récupère le retard.
Mercenaire
Plus on avance, plus les contraintes augmentent. Ce qui n’est pas un frein à la créativité. Peu d’espace stimule l’imagination. On insuffle de la poésie et de la chaleur dans ce bâtiment sobre et à la pointe de la technologie. Sans publicité mensongère. L’acteur à qui on confie la voix off est une sorte de baroudeur – allure de mercenaire, visage de boxeur –, cousin de Jean Reno, timbre de voix compris. S’il a joué un trafiquant d’armes russe sans foi ni loi, et qui tient tête à Ralph Fiennes et Colin Farrel, il se révèle un fin lettré. Maîtrise en littérature germanique, qu’il explique. Je réponds "Ok".
On enregistre la voix, on la monte, on adapte quelques plans et tout est dans la boîte. Le film dure 3 minutes 54. Sans musique. Et dans les temps. L’équipe d’architecte et leurs nombreux partenaires apprécient. J’apprécie qu’ils apprécient. Il me tarde de recommencer un projet de ce type.
Avec Benoit Henken.
Pour Quick-it